Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’Education Numérique (OPEN) répond à nos questions sur l'usage du numérique dans le cadre familial.
Le numérique est de plus en plus en plus présent dans la vie des familles à travers différents supports et outils. Selon vous, comment ce changement influe-t-il dans les relations entre les parents et leurs enfants ?
Thomas Rohmer : L'omniprésence des univers et outils numériques dans le quotidien des familles est une réalité que désormais la plupart d'entre nous vit. Je ne suis pas certain que les écrans viennent toutefois influencer les relations entre les parents et les enfants. Cela devient un sujet supplémentaire de préoccupation et de tensions familiales ce qui n'est pas forcément la même chose ni le même enjeu.
Nous constatons lors de nos rencontres et conférences, que ces outils cristallisent beaucoup d'inquiétudes et de conflits entre parents et enfants/adolescents. Pour autant, ces conflits ont toujours existé, et dans la majorité des cas, ils viennent bousculer nos usages en tant qu'adultes car le moins que l'on puisse dire c'est que nous ne sommes pas toujours en cohérence éducative lors de nos pratiques numériques !
Je fais partie d'une génération qui a connu l'arrivée de la télévision comme étant également un sujet de tension important. Pour autant, je n'ai pas souvenir que cela ait pu avoir d'influence négative dans les relations avec mes parents.
Il me semble qu'en tant qu'adultes et surtout parents nous poursuivons parfois des objectifs contradictoires dans notre manière d'appréhender ces outils et contrairement aux discours anxiogènes et stigmatisants du moment, n'oublions pas que pour le moment, les smartphones et autres tablettes n'arrivent pas d'un coup de baguette magique dans les chambres et les cartables de nos enfants.
A titre d'exemple, nous voulons pouvoir joindre nos enfants en permanence pour calmer le plus souvent nos inquiétudes et nous les équipons en smartphone de plus en plus tôt. Pourtant, tous les parents sont unanimes: une fois équipés, nos enfants ne répondent jamais à nos appels. Quant aux plus jeunes, nous achetons notre tranquillité en les mettant devant des tablettes dès 18 mois (parfois avant) sans nous rendre compte que nous nous privons de moments de partage et d'échanges pourtant essentiels à leur construction. Il est vraiment temps de nous ressaisir !
Beaucoup de parents s’inquiètent des risques qu’ils associent à l’utilisation d’Internet et des outils numériques. Selon vous, ces dangers sont-ils réels ? Comment rassurer les parents face à ces risques ?
T.R : Pendant des années les médias se sont adressés aux parents en évoquant des univers virtuels sous entendant que les risques endogènes à ces univers étaient également virtuels. Et puis avec l'explosion des réseaux sociaux et la prolongation des phénomènes de harcèlement en leur sein, on s'est rendu compte que tout cela n'était peut-être pas si « virtuel » que ça.
L'arrivée du mobile qui redéfinit les espaces d'intimité et renforce des pratiques numériques isolées facilite grandement l'émergence de ces risques.
Il est impératif que les parents aient conscience que ces outils et univers étant bien réels, les risques sont donc équivalents à ce que leurs enfants peuvent croiser dès qu'ils franchissent le seuil du cocon familial. Ni plus ni moins !
Par ailleurs, une distinction s'impose entre les risques sanitaires et ceux qui peuvent être inhérents aux pratiques.
Concernant les aspects sanitaires, on entend tout et n'importe quoi depuis quelques mois, entre addiction, autisme et maintenant neurotoxicité des écrans, il y a vraiment de quoi paniquer.Les parents que nous rencontrons nous l'expriment en permanence. Avec le comité d'experts qui compose l'OPEN nous essayons d'être à la fois pragmatiques mais également objectifs quant à la réalité scientifique de toutes ces théories. Et il est important de le répéter : en l'état actuel des recherches scientifiques, l'autisme virtuel, la neurotoxicité des écrans et les addictions aux écrans ne sont que des angoisses d'adultes destinées à faire peur et vendre des livres.
Cela n'empêche pas d'être honnête : tous les troubles que de nombreux médecins ou spécialistes constatent chez les jeunes enfants en cas de surexposition précoce existent bel et bien. Ces troubles ne sont pas intrinsèquement liés aux outils numériques mais à la manière dont nous les utilisons avec nos enfants qui est souvent inappropriée.
Cette nuance peut sembler subtile mais elle est très importante car elle nous permet d'être très positifs et optimistes pour l'avenir de notre société connectée. Elle renforce en plus l'idée que nous défendons à l'OPEN : l'impérieuse nécessité que les parents s'emparent de ces enjeux éducatifs incontournables, et surtout, qu'ils ont les moyens et la légitimité pour agir !
Concernant les autres risques liés aux usages, essayons d'être objectifs : les fausses informations, le harcèlement, les images violentes et la pornographie ne sont pas nés avec les univers numériques. Ce qui change profondément, c'est que le numérique offre à la fois une facilité d'accès et de diffusion de ces contenus préjudiciables pour nos enfants mais également une caisse de résonance qui est désormais planétaire. A l'heure où les équipements en smartphones ne cessent de rajeunir, il est donc essentiel que les parents réalisent que cette décision n'est en aucun cas une démarche anecdotique. Elle nécessite un véritable accompagnement des enfants pour les préparer à ces éventualités. C'est tout le sens des groupes de parole et autres formations destinés aux parents et aux professionnels de l'enfance que nous déployons partout en France.
Le numérique offre également des potentialités éducatives intéressantes. Selon vous, comment le numérique peut-il être une ressource pour les parents dans l’éducation de leurs enfants ?
T.R : Plus qu'une ressource, il faut voir selon moi ces outils comme étant des activités à part entière, à partager en famille comme n'importe quelle autre activité. Bien sûr ce n'est pas toujours simple car dans la plupart des cas, ils sont utilisés par les adultes pour s'acheter du temps pour eux et de la tranquillité.
On montre souvent du doigt les parents et parfois à juste titre, toutefois l'école ne fait pas toujours mieux. Nous recueillons énormément de témoignages de parents qui constatent en maternelle et au primaire que leurs enfants sont mis devant la TV sur les temps de récréation en cas d'intempéries. Dans certaines écoles, cordes à sauter et billes sont bannies pour des raisons de potentielle dangerosité pendant que les adultes sensés surveiller la récréation sont sur leurs téléphones portables ! La manière dont les écrans sont proposés aux enfants par les adultes est souvent peu cohérente, contradictoire et quelque part profondément égoïste.
Bien utilisés, ces outils sont au contraire des moments de partage et de plaisir au même titre qu'un jeu de société ou qu'une partie de ballon.
Il ne faut pas faire de nos enfants des techno-dépendants dès le plus jeune âge. Mais nous ne pouvons pas non plus ignorer que ces outils font partie de notre et de leur quotidien et il peut être préjudiciable sur le long terme de leur en interdire tout accès comme on le voit parfois !
Comme toujours dans la parentalité c'est une question de dosage et de lucidité, mais une chose est sûre, le numérique n'a rien à voir là dedans !